Cornelius Krieghoff se fixe à Québec pour une période de 11 ans : 11 ans de production intense, 11 ans de prospérité. Budden partage sa demeure avec la famille Krieghoff et fait connaître le peintre à son entourage. L’artiste rencontre les gens importants et reçoit même chez lui le gouverneur général, lord Elgin [Bruce*]. Sans attacher plus d’importance qu’il ne faut à cette visite, il faut convenir que de telles marques de considération consolident puissamment la popularité de Krieghoff. Avec Budden, il fait de nombreuses excursions autour de Québec afin de voir les gens, les paysages et de se familiariser avec les habitudes de vie. Deux écoles lui demandent de donner quelques heures d’enseignement, la Quebec School for Young Ladies et l’école de Mlle Plimsoll. Il semble que son enseignement se réduise à faire copier ses œuvres.
Au cours de l’année 1854, Krieghoff se rend en Europe pour une période de six ou huit mois. Ce voyage demeure très mal connu. Nous ignorons s’il y est allé seul, les raisons de son départ et les pays visités. Au désir de revoir les lieux de sa jeunesse, s’ajoutent probablement des raisons pratiques, comme celles de mousser sa popularité et de rencontrer les éditeurs anglais qui ont gravé ses œuvres. Il aurait séjourné deux mois à Paris où il vend une collection de plantes canadiennes assemblées à l’occasion de ses courses dans les bois. On ignore tout de son prétendu séjour en Allemagne. Il ne semble pas que ce voyage ait une grande importance au point de vue strictement artistique, car la manière de Krieghoff ne subit aucun changement au cours des années suivantes.
Il n’en va pas de même, semble-t-il, dans sa vie familiale. Sa femme disparaît mais on ne sait quand ni comment. Certains disent qu’elle quitte Krieghoff discrètement après leur arrivée à Québec ; d’autres affirment qu’elle meurt à Longueuil en 1858 après une courte maladie. Toutefois, les archives judiciaires de Québec et de Longueuil ne possèdent aucun acte de décès au nom de Louise Gauthier pour l’année 1858. Krieghoff aurait eu une seconde femme dont on ignore tout. Sa vie est donc très mal connue et les documents les plus importants que nous possédions pour la connaissance de Krieghoff demeurent sans contredit ses tableaux.
L’art de Krieghoff prend sa source dans la vie de tous les jours et dans la campagne entourant Québec. Aucune peinture mythologique n’est sortie de son atelier. Serait-ce par ignorance des littératures anciennes ? Il ne semble pas car il possède une riche bibliothèque et il a vu les œuvres européennes dans les musées. Pas de nus non plus ; celui qu’il peint vers 1844 est plutôt un objet de scandale dans son entourage. Les sujets religieux sont aussi très rares : pas de pietà, pas de madone à l’enfant, pas de vision. Il a fait cependant quelques peintures religieuses, mais ce sont plutôt des études de mœurs à prétexte religieux.
Cornelius Krieghoff est peintre de genre. Il s’intéresse non pas à ce qui est arrivé une fois à un endroit donné, mais à ce qui se passe tous les jours autour de lui. Ses personnages ne sont pas des individus importants en eux-mêmes ; ils offrent plutôt une image de telle profession, de tel groupe social ou des gens de tel âge. De plus, l’humour qui affleure dans la majorité de ses œuvres donne à sa production un air de gaieté qui fait penser à la grande époque de la peinture hollandaise de genre, au XVIIIe siècle.