Vorokhta et la chapelle ukrainienne Saint-Jean-Baptiste
Au nord du hameau de Vale Perkins, sur le chemin du Lac, une petite place attire les visiteurs. Un écriteau l’annonce : Vorokhta ou Bopoxta en ukrainien.
En 1954, Ivan et Stefania Telishewski, deux immigrants venus d’Ukraine, s'établissent dans le canton de Potton qui, avec ses montagnes, leur rappelle les paysages de leur village natal, Vorokhta. Il s’agit d’un endroit de villégiature célèbre du centre-ouest de l’Ukraine, situé dans la chaîne des Carpates à 850 mètres au-dessus du niveau de la mer, le long de la rivière Prut. Il porte, depuis 1598, le nom de Michael Vorokhta, un artisan ukrainien réputé.
D'autres familles d’origine ukrainienne s'installent rapidement sur la terre de 230 acres acquise par les Telishewski. Le village ukrainien compte alors jusqu’à une trentaine de familles. Les Bodnar, les Monczak et les Telishewski en sont les piliers. Quelques familles vivent en permanence à Potton, les autres y viennent en villégiature. Mais depuis quelques années, leur nombre diminue.
En 2004, le 3 juillet, une célébration religieuse et un repas champêtre avec musique soulignent le 50e anniversaire de la fondation du village ukrainien. C’est Wolodymyr Bodnar, citoyen d’origine ukrainienne de Potton depuis 1956, qui préside ces fêtes.
Trois chemins de ce secteur de Potton portent des noms choisis par les nouveaux arrivants : Vorokhta, Vitayemo et Odessa. Le premier chemin porte le nom du lieu. Le deuxième odonyme, Vitayemo, signifie bienvenue en ukrainien, Ласкаво просимоe. Le troisième, Odessa ou Одеса, rappelle une ville portuaire d'Ukraine située sur la mer Noire, à 440 kilomètres au sud de Kiev. Odessa a toujours possédé un esprit de liberté et d'ironie, grâce à sa situation géographique qui favorise l'ouverture aux étrangers. On la dénomme souvent la Marseille de l'Ukraine.
Un autre endroit, à Potton, porte un nom ukrainien. Entre les monts Sugar Loaf et Hog's Back, deux élévations rocheuses remarquables qui culminent à près de 660 mètres, se trouve un lieu dit Sébastopol, Севастополь, du nom d’une ville importante d’Ukraine. Ce nom a été attribué, semble-t-il, soit pour rappeler la prise de cette ville en 1855 lors de la guerre de Crimée, qui opposa l’Angleterre, la France et l’Empire ottoman à la Russie, soit à cause des monts élevés qui l’entourent, comme en Crimée.
La chapelle Saint-Jean-Baptiste
Conformément à leur tradition religieuse, soit catholique de rite oriental, les Ukrainiens de Potton bâtissent, dès 1954, une petite chapelle qu’ils dédient à saint Jean-Baptiste parce qu’il est le saint patron du Québec, d’Ivan (Jean) Hawryluk, vicaire général responsable de l’Église ukrainienne au Québec, et d’Ivan (Jean) Telishewski, le propriétaire des lieux.
Or, il faut doter la chapelle d’une cloche pour appeler les fidèles à l’office. Ayant appris que le Canadien Pacifique se défait de ses vieilles locomotives à vapeur, munies d’une cloche, un des ouvriers d’origine ukrainienne demande au vicaire Ivan Hawryluk, d’écrire aux dirigeants de la compagnie de chemins de fer, à Montréal. Ces derniers répondent aussitôt qu'une cloche leur sera envoyée par train, à la gare de Highwater, à Potton. Ivan Hawryluk s'y rend, tout heureux, pour en prendre possession. Mais il lui faut l’aide de trois hommes pour la soulever!
En 1985, pour célébrer le millénaire de l’Église ukrainienne de Kiev, les citoyens de Vorokhta décident d’agrandir la chapelle. L’ingénieur Myron Monczak, né en 1924 et décédé en 2010 et qui réside alors à Potton, en dessine les plans et lui donne la forme architecturale typique des églises en bois des Carpates.
Il prend pour modèle l’église de la Nativité de la Vierge Marie construite au 17e siècle, à Vorokhta, en Ukraine. Il conçoit et exécute toutes les décorations intérieures et extérieures ainsi que l’ameublement de la chapelle. Quatre hommes du village travaillent bénévolement à la construction six jours par semaine, pendant un mois. Pour loger la fameuse cloche, les Ukrainiens dressent un clocher qui lui est réservé selon la coutume pour les églises en bois.
L’évêque responsable de l’Église catholique ukrainienne de rite oriental au Québec, Mgr Isidore Boretsky, consacre la nouvelle chapelle lors de la fête de saint Jean-Baptiste selon le calendrier ukrainien, soit le 7 juillet 1985. De nombreux dignitaires ecclésiastiques et civils sont présents.
Depuis quelques années, les lieux sont une propriété privée. Toutefois, il est possible d’admirer l’œuvre depuis le chemin du Lac. La description qui suit permet de comprendre la beauté de cet édifice, même si son accès est pour l’instant interdit au public.
Une porte d’entrée ou brama – брама – permet d’accéder à la chapelle bâtie au sommet d’une colline. Malheureusement, elle doit être relevée. Une croix ou khrest – xрест – et le clocher ou dzvinytsya – дзвіниця – abritant la cloche André ou Andriy – Андрій – encadrent la chapelle ou kaplytsya – каплиця. Tant le clocher que la chapelle sont construits en bois. De structure carrée, l’édifice est coiffé d’une cascade de toits triangulaires surmontés d’une tour hexagonale surplombée par une coupole portant une croix posée sur un petit dôme.
Sept marches conduisent à un préau où se trouve la porte d’entrée. À l’intérieur, l’iconostase, soit la cloison qui porte les icônes, est percée de trois portes qui donnent accès au sanctuaire. La porte centrale, appelée Porte royale, est réservée à l’officiant et les deux autres sont celles des diacres ou servants. Neuf icônes racontent la vie du Christ. Une icône est consacrée à saint Nicolas, qui protège la construction des églises. Au-dessus du maître-autel, trône l’icône de la Vierge du Perpétuel Secours.
De part et d’autre des murs de la chapelle figurent les portraits de la reine Olga et de saint Volodymir le Grand, souverains au Xe siècle de l’empire de Kiev, qui s'étendait de la mer Noire à la Baltique. De la tour octogonale fuse la lumière de six vitraux. Deux lustres de cristal offrent une lumière diffuse qui invite au recueillement. Les objets du culte ont été offerts par les fidèles, notamment un chandelier à sept branches de rite byzantin, un vase, deux croix en marqueterie, une chasuble et des tapis d’autel brodés au point de croix selon les motifs ukrainiens.
Potton est une terre d’accueil. Son riche patrimoine religieux en témoigne. Vorokhta et la chapelle Saint-Jean-Baptiste en sont de magnifiques manifestations.
Sources
- Bastin-Jutras, Agnès, et Pierre Jutras. Vorokhta, Association du patrimoine de Potton, 2002.
- Hvozda, John. Wooden Architecture of the Ukrainian Carpathians, The Lemko Research Foundation, New York, 1978, pages 53-65.
- Monczak, Bohdanna. Entretien.
- Ukrainian heraldry.
- Wikipédia.
- http://ihor5.freeyellow.com/vorokhta.html.
Équipe de production
Rédaction française et recherche: Jean-Louis Bertrand
Rédaction anglaise et recherche: Sandra Jewett
Révision: Jacqueline Robitaille
Édition originale © 2010
Édition Web: Serge Normand, 2024