Walowadjo, la montagne du hibou
Le mont Owl's Head, haut de 750 mètres (2460 pieds) et constitué de roc basaltique, domine le canton de Potton. C’est une éruption volcanique, remontant à l’époque cambrienne, soit à plus de 500 millions d’années, qui a façonné sa forme conique dotée d’une falaise qui plonge dans le lac Memphrémagog sur sa rive occidentale, à une profondeur de 107 mètres (351 pieds). La dénivellation entre le sommet et le lac est de 541 mètres (1775 pieds).
Selon les premiers colons établis dans Potton, la montagne tire son nom du chef abénaquis Owl. Pour étayer cette légende, mentionnons que le sommet de la montagne, côté nord, évoque la tête d’un homme couché regardant vers l'est, où se lève le soleil. Le mot Abénaquis vient de Wôbanaki, qui signifie terre ou pays de l’est ou encore d’où vient la clarté du jour. Les Abénaquis, à cette époque, utilisaient régulièrement ce territoire pour la chasse et la pêche et pour rejoindre la Nouvelle-Angleterre. Ils nommaient le mont Kokokas, le hibou, ou encore Walowadjo, la montagne du hibou.
Le hibou est un rapace solitaire, surtout nocturne. Sa tête est grosse et sa face forme un disque, les yeux dirigés vers l’avant, avec des aigrettes sur la tête. Son bec est crochu et ses serres, tranchantes. Son ouïe est très fine et ses yeux percent la nuit. Le hibou émet des hululements sonores audibles jusqu’à quatre kilomètres. Il peut aussi ricaner et glousser.
Selon les époques et les cultures, l’image mythique du hibou a été tantôt négative, tantôt positive. Sa tête à ressemblance humaine, son regard fixe, son vol silencieux, ses cris inquiétants, sa vie secrète dans l’obscurité, redoutée des humains, l’associent à la magie noire et aux sorcières, à la sagesse et à la mort.
Dans les rites initiatiques des sociétés algonquines, dont les Abénaquis font partie, un homme-hibou, perché dans la loge cérémonielle, montre le chemin vers la terre du soleil couchant, royaume des morts. Pour eux, quand le hibou chante, l'Indien meurt. Par ailleurs, le cri du hibou est signe de rassemblement au clair de lune pour la Chouennerie, au Québec. Au début de la colonie française, dans les campagnes, le Chavan ou Hibou est le sage du village, le sorcier. En 1837-1838, à l'époque de l’insurrection des Patriotes au Québec et en Ontario, c'était par le hululement des Frères-chasseurs ou Hunters Brothers que le volontaire trouvait son chemin.
Montagne sacrée et rite initiatique
Pour les Abénaquis, la montagne est un point de repère et un lieu sacré. Un serpent aquatique fantastique, qu’ils nomment Anaconda, le serpent-guerrier, en est le gardien et a comme refuge une caverne sous-marine située sous la falaise. Cette légende se perpétue de nos jours, puisque plusieurs personnes témoignent avoir vu ce monstre, maintenant nommé Memphré. Si vous être attentifs et très patients, vous le verrez. Il est très casanier, d’où ses rares apparitions.
Plus près de notre époque, le 10 septembre 1857, les francs-maçons de la Golden Rule Lodge No. 5 de Stanstead, à l’instigation de leur Vénérable maître Henry J. Martin, ont inauguré une loge initiatique en plein air, la seule connue au monde, au sommet du mont Owl's Head. Les membres de cette loge maçonnique et leurs invités s’y réunissent au temps du solstice d'été. Cet endroit peut être rejoint par un sentier étroit. Ce grand espace, gardé par des rochers, forme un temple naturel propice aux initiations maçonniques. Le logo des francs-maçons, une équerre et un compas entrecroisés avec la lettre G entre les deux, est gravé sur l’un des rochers. Le G signifie Geometry, God, Golden Rule, Grand Architect. Un aigle à deux têtes est aussi gravé sur le rocher qui surplombe l'esplanade est. L’aigle est le symbole de saint Jean l’Évangéliste, vénéré par les francs-maçons. C’est l’oiseau présumé capable de regarder le soleil en face. Il s’oppose au hibou, oiseau de nuit. L'aigle à deux têtes représente l’union des rites maçonniques d’Orient et d’Occident.
Le mémorial Bob Richardson érigé par la famille Korman au sommet de la montagne souligne lui aussi le caractère sacré des lieux.
Bob Richardson, skieur émérite, est né à Magog en 1927 et est décédé à Potton en 2004. Il a été membre de l'équipe nationale de ski du Canada de 1948 à 1954, membre de l'équipe olympique canadienne en 1952 et directeur de l'école de ski de Owl’s Head de 1965 à 1995. Bob Richardson faisait corps avec la montagne : il a demandé que ses cendres soient déposées au sommet de la piste de ski Kamikaze.
Owl’s Head, centre récréotouristique
Le mont Owl’s Head, c’est aussi une station récréotouristique quatre-saisons fondée en 1965 par Fred Korman et qu’il gère encore avec son épouse Lillian et sa fille Caroll. Ce centre a acquis une réputation enviable et contribue de façon importante au développement économique de Potton.[voir note]
La famille d’Albert Korman et de Phillipine Weitzel est arrivée d’Allemagne en 1926. Très rapidement, elle s’implique dans le développement économique de Potton : culture maraîchère, élevage de visons de 1937 à 1990, création d’une entreprise chimique en 1958, développement de Owl’s Head en 1965, mise en piste d’un aérodrome en 1992. Soulignons que Fred Korman, fils d’Albert, fut maire de la Municipalité du canton de Potton de 1965 à 1969 et responsable des pompiers volontaires durant de nombreuses années. Électricien de métier, il a fondé une entreprise importante, Fred Korman Inc, qui a œuvré au développement du réseau électrique d’Hydro-Québec.
Note : M. Korman a vendu la station récréotouristique à un groupe d'investisseurs québécois, en 2019.
Une montagne inspirante et festive
Rappelons qu’au XIXe siècle, cette montagne attira l'attention de peintres célèbres tels que W.H. Bartlett, Allan Edson, John Fraser, Cornelius Krieghoff, J.D. Woodward. Elle est toujours fréquentée par les peintres et les photographes, tant professionnels qu’amateurs. La beauté des paysages ou encore cette source située à mi-chemin du sommet de la montagne, avec son sentier parfumé de fougères, inspire les poètes et les conteurs de légendes.
En 1880, le luxueux hôtel Owl’s Head Mountain House situé au bord du lac, au pied du flanc sud de la montagne, accueillait des vacanciers du monde entier. Entouré par 200 hectares de boisés, possédant un jardin potager, des vaches et même un vignoble, cet hôtel dépassait en confort et par ses activités sociales tous les autres du Québec. Malheureusement, un incendie le détruisit en 1899.
Cet esprit festif renaît chaque automne, lorsque la montagne accueille l’Autumnfest et l’Oktoberfest. Les gens des Cantons sont reçus par des musiciens, danseurs, artistes, artisans et brocanteurs qui animent ces fêtes, avec bière et choucroute pour se régaler. Des traditions que les Korman et les citoyens de Potton d’ascendance allemande sont fiers de partager.
La vieille montagne est remplie de secrets et les garde jalousement. À vous de les découvrir. Expérimentez l’envoûtement, explorez, rendez-vous au zénith!
Sources :
- Jos. Laurent. Abenakis and English Dialogues, 1884.
- Révérend Arthur Henry Moore. History of Golden Rule Lodge No. 5 Q.R., A.F. and A.M. Stanstead, Que., William Briggs, Toronto, 1905, p. 59.
- Wikipedia.
Équipe de production
Recherche : Jean-Louis Bertrand, Sandra Jewett et Jacques Thouin
Rédaction du texte français : Jean-Louis Bertrand
Édition originale © 2010
Édition Web : Serge Normand, 2024
Révision de l'édition Web : Jacqueline Robitaille, 2025